Oscar Tuazon
Exposition du 22 juin au 27 octobre 2012
Vernissage le jeudi 21 juin 2012 dès 18h
Oscar Tuazon ou le potentiel libérateur de la construction
Le travail de Oscar Tuazon semble être un prolongement naturel de l’enfance, aussi évident que la construction d’une cabane ou une expédition en forêt. Sans jamais aller jusqu’à l’architecture, Tuazon reste toujours en deçà des règles de construction, dans la liberté de bâtir, à l’instinct, avec le plaisir de prendre possession d’un lieu, d’en faire pour un temps son lieu de vie, sa maison ; un bâti comme une extension de soi-même, de son corps et de ses mouvements. Le geste et le processus de montage sont contenus dans ses réalisations, qu’il faut comprendre comme des formes d’appropriation, d’expérimentation, « de vécu ». Tuazon précisait dans une interview parue dans son catalogue I can’t see : « I want to make something with its own life, its own needs, a living thing ».
Il n’est donc pas question de sculptures ou même d’installations, ni de narration, de simulacre ou de symbolique, les constructions de Tuazon sont le résultat d’une expérience empirique, de la transposition d’un mode de vie, qui, bien au-delà des contraintes des espaces d’exposition, participe davantage d’un esprit nomade et s’apparente à l’errance initiatique, à une recherche de symbiose avec la nature, jusqu’à éprouver parfois les limites de la survie. Dans un texte, Leave Me Be, inclu dans une publication parue à l’occasion de trois expositions personnelles qui ont eu lieu en 2009 et 2010, Tuazon raconte une longue et folle pérégrination, réelle ou fantasmée, une perte de soi dans les drogues, le sexe, la nature, la solitude, jusqu’à la découverte enfin d’une maison, sa maison, métaphore de son identité et de son œuvre : « It had taken me seven days to get there. I forced a window and pulled myself inside. It was dark and cool, water dripping from the ceiling. And that’s the end of it, That’s it, That’s it, pertaining to me ». Les questionnements de Tuazon appellent de nombreuses références qui ont toujours lié intimement les grands espaces à la culture et aux écrivains américains : de l’exaltation héroïque pour le monde sauvage à la communion avec la nature jusqu’aux mouvements contestataires, anarchistes et libertaires du XIXe siècle à nos jours. On peut trouver une filiation avec le philosophe et naturaliste Henry David Thoreau et son expérience de vie en autarcie (Walden or Life in the Woods), avec les récits d’aventures dans le Grand Nord de Jack London (L’Appel de la forêt), avec la Beat Generation, Jack Kerouac et Williams S. Burroughs. On pense aussi et plus récemment à Gerry de Gus Van Sant, au récit de la vie de Christopher McCandless dans Voyage au bout de la solitude de Jon Krakauer et à son adaptation au cinéma par Sean Penn (Into the Wild) ou encore aux deux cowboys de Brokeback Mountain de Ang Lee et peut-être même à une influence lointaine de l’auteur irlandais Michael Collins, probablement très marqué par cette mythologie américaine « On the Road ». La route permettrait de se révéler à soi-même, comme la solitude en pleine nature, hors de toutes organisations sociales, favorisant, selon les précurseurs comme Thoreau, l’émergence d’un très fort désir de liberté, les courants de désobéissance civile, et pour finir les idées contestataires qui traverseront tout le XXe siècle : le communautarisme, les pacifistes, les libertaires jusqu’à certaines formes d’anarchisme radicales, comme l’ultramarginalisation d’un Jan Kaczynski, alias The Unabomber, jusqu’aux mouvements plus actuels et moins individualistes : les anti-capitalistes, alter mondialistes et écologistes.
Tuazon semble être également un adepte du mode de vie alternatif et plutôt en symbiose avec les éléments naturels, avec l’idée d’autogestion, le DIY ou le concept du « VONU » (« VOluntary Non vUlnerable », décrit par Rayo dans son ouvrage, VONU. The Search for Personal Freedom). Ces idées d’émancipation prennent réellement forme dans son travail, qui serait un moyen de tester la résistance des matériaux confrontés aux limites des normes de constructions, comme ses projets d’installations toujours confrontés aux réticences des institutions artistiques, en définitive et par rebond, comme un moyen de s’opposer à l’établissement de certaines règles et aux contraintes qui régentent la société, la culture et même les lieux ou le monde de l’art contemporain.
C’est ce désir d’échapper aux conventions, de gagner en autonomie qui a souvent amené Tuazon à participer à plusieurs initiatives collectives telles que la création de la librairie indépendante, galerie et maison d’édition Castillo/Corrales à Paris avec Thomas Boutoux, Laure Giletti, Boris Gobille, Guillaume Leblon, François Piron et Benjamin Thorel, à réaliser certaines pièces avec son frère Elias Hansen, également artiste, ou à collaborer à la revue Paris, LA, publiée par sa compagne Dorothée Perret. Tuazon entretient d’ailleurs un rapport très fort au texte, au livre et à l’édition, ce qui constitue un autre versant extrêmement important de son engagement artistique. Et s’il tente d’exclure toute narration et dramaturgie de ses constructions, les voulant les plus proches de l’expérience constructive, Tuazon écrit à la fois pour retrouver l’histoire qui entoure la réalisation de ses œuvres et pour garder la maîtrise du discours sur son travail, qu’il aimerait le plus possible indépendant de celui sur l’art. La fabrication de livres, souvent réalisés par lui-même et à la main, comme Dwelling Portably #1, 2009, Leave Me Be #3, 2009, procède de cette même recherche d’autonomie. Le livre est pour Tuazon un objet qui renferme son texte, ses dessins, ses références, et qui représente une autre construction, un autre lieu, un autre corps.
Suite à l’édition du livre Working Drawing, paru en janvier 2012 et édité par le CEC, Oscar Tuazon exposera au CEC du 22 juin au 27 octobre 2012. Il réalisera pour cette exposition personnelle et pour la première fois une série de dessins inédits de grand format.