Gerard Byrne
For example; a sketch of Five Elevations, 1971-72
Exposition du 5 mai au 16 juillet 2011
Vernissage le mercredi 4 mai 2011 dès 18h
L’oeuvre de Gerard Byrne (né en 1969 à Dublin où il vit et travaille) se construit autour de documents – publicités, presse quotidienne, magazines spécialisés – datant généralement des années d’après guerre et, de préférence, entre les années 1960 et 1970, souvent parcellaires et oubliés. A la suite de recherches dans les archives, Byrne exploite ces documents, les transforme et leur donne une seconde vie. Ces nouvelles images ou mises en scène sont à la fois le fruit d’une déconstruction et d’une reconstruction critique, souvent théâtralisée, interrogeant les codes de la représentation et de l’image, médiatique ou artistique.
Le travail de Gerard Byrne constitue une sorte de caisse de résonance entre le passé et le présent ; nos souvenirs, nos références culturelles et l’actualité ; une manière de revisiter notre histoire, nos mythologies au travers d’une archive constituée de divers médiums : articles de presse, récits, documentaires, essais, shows télévisés, cinéma, etc. Ce matériel de base peut aussi bien être issu d’un débat sur la révolution sexuelle, publié dans le magazine Playboy dans les années 1970 (New Sexual Lifestyles, photographies noir/blanc, 2003), une interview de Jean-Paul Sartre sur sa relation aux femmes (Homme à Femmes (Michel Debrane), vidéo, 2004) que les nombreux témoignages et enquêtes sur le monstre du Loch Ness parus dans la presse écossaise locale (Towards a Gestalt Image : Loch Ness & Fact, film 16 mm et CD audio, 2008) ou encore, plus récemment, les notes prises par les psychiatres militaires américains lors de leurs interviews des dirigeants nazis incarcérés en 1946 dans l’attente du procès de Nuremberg (Untitled Acting Exercise (in the Third Person), HD vidéo, 2008).
De ces extraits tirés de notre passé récent, Gerard Byrne élabore des scénarios où il recombine et exacerbe certains aspects sociologiques, psychologiques ou politiques des événements choisis. En maniant dans un esprit proche de celui de Beckett l’absurde et le décalage, il souligne avec malice les flottements, les ambiguïtés, voire les cocasseries de certaines informations et de leur traitement. En nous rappelant parfois l’emphase et la dramaturgie brechtienne, Byrne nous confronte, dans un raccourci temporel, à notre mémoire et à la connaissance de notre histoire, exacte ou erronée, mais souvent manipulée par les modes de représentation et de transmission percutant notre réalité et notre actualité.
Pour son exposition au Centre d’édition contemporaine, Gerard Byrne propose la réalisation d’un nouveau film, qui fait référence à une œuvre de Richard Serra installée dans le parc d’une collection privée à l’extérieur de Londres et à laquelle il a pu avoir accès, Five Elevations, datant de 1971-72. Ce film fait suite à une série de recherches sur l’abstraction et le minimalisme et entre autre à un précédent travail, A thing is a hole in a thing it is not (vidéos, 2010) produit et présenté une première fois au Van Abbemuseum de Eindhoven et ensuite à la Renaissance Society, Chicago, au Lismore Castle Arts, County Waterford, Irlande, ainsi qu’au 2010 Glasgow International Festival of Visual Art. Cette pièce de 2010, constituée de plusieurs films courts, met en scène des œuvres issues de la collection du Van Abbemuseum, qui représentent en quelque sorte la quintessence du minimalisme américain : avec des peintures et sculptures de Carl Andre, Donald Judd, Dan Flavin, Robert Morris et Frank Stella. Réinstallées par Gerard Byrne dans les salles du musée d’Eindhoven, ces œuvres rejouent leur présence au musée. La caméra filme aussi bien les œuvres que le contexte : monteurs, photographes, nettoyeurs, gardiens et visiteurs. Les prises de vue sont le résultat de balayages ou de va-et-vient distancés entre l’environnement, des détails apparemment anodins et les œuvres elles-mêmes, devenues elle aussi objets. Le déplacement de point de vue qu’opère Gerard Byrne est recontextualisé dans le champ du minimalisme par Penelope Curtis dans son texte A local address paru dans le catalogue Tuxedo Junction, 1960 à propos de A thing is a hole in a thing it is not : « This means that we are left with the possibility of thinking of Minimalism’s project as both romantic and classical ; as a work of the imagination as well as of manufacturing ; an idea as well as an object ; a dream as well as a result. It is also made clear, however, that Minimalism is not just about us, and our experience, but also about how other experiences are mediated for us, whether in text, voice or imagery. ». Catalogue dans lequel il est également noté en exergue : « Assembled and edited by Gerard Byrne upon the achievements of the Minimalists and their critics».
Gerard Byrne pose la question de la transmission, historique ou ici artistique, d’une réalité connue, médiatisée, phénoménologique ou davantage encore iconique, en la mettant à l’épreuve de son enregistrement ou de son réenregistrement (film, photographie), de sa diffusion et de sa réception : « The idea was to construct for each work a kind of self-awareness of being viewed. I am interested in how the camera tries to construct and elaborate those viewpoints in a filmic sense. I recall Beckett’s Film quoting our fellow Irishman Bishop Berkeley – ”To be is to be perceived”.
Pour For example ; a sketch of Five Elevations, 1971-72, le film présenté au CEC, la caméra circule autour de Five Elevations. Les prises de vues, reprenant des standards cinématographiques, assemblent une image subjective de cette sculpture au dispositif complexe. En toile de fond, la caméra enregistre simultanément et partiellement un shooting de mode, mis en scène par Gerard Byrne. Malgré ces deux plans, l’œuvre de Richard Serra reste le personnage principal de cette fiction, même si la confrontation avec ce shooting transforme Five Elevations en une sorte de « Stonehenge » provocant une sorte back-clash entre ces deux dimensions temporelles : l’éternel vs l’éphémère.
Par ailleurs, la beauté des deux sujets, le Serra et les modèles ; élégants, stricts, à la gestuelle géométrique, est renforcée par les lents mouvements de va-et-vient, quasi hypnotiques, de la caméra. Ce balayement, en continu et au rythme de la marche, met en évidence les multiples effets de matière et les reflets miroitants du corten, uniquement scandé par le passage de la caméra sur la tranche acérée des panneaux d’acier. L’esthétisme de l’ensemble est encore exacerbé par des plans fixes sur des détails bucoliques du jardin alentours – gazon, insectes, feuillages – jusqu’à la saturation et même la gêne. Gerard Byrne propose avec ce dernier film un nouveau développement à sa recherche sur la réception de ces œuvres historiques et la perception que nous pouvons en avoir aujourd’hui.