Vernissage, jeudi 16 mai 2024, de 18h à 21h (Nuit des Bains)
Nocturne d’été des Bains, mercredi 10 juillet 2024, de 18h à 21h Présentation de l’exposition par l’artiste, 18h30
Chacune des œuvres de Denis Savary est le fruit de recherches approfondies sur des champs aussi variés que l’histoire, l’histoire de l’art, la littérature, la musique, le folklore et parfois même la science. Il en résulte des pièces aux références croisées, dont l’hybridation se joue également au niveau technique. Savary aime en effet collaborer avec des artisan.e.s issu.e.s de différents corps de métiers (verre, menuiserie, céramique, tapisserie, etc.), l’occasion pour lui d’explorer des savoir-faire et d’expérimenter des techniques. De prime abord éclaté, son travail produit un monde foisonnant et hétéroclite, parcouru d’objets eux-mêmes chargés de mythologies, patchwork de souvenirs personnels et de références constamment transformées ou réinterprétées.
C’est dans ce foisonnement et les phases d’exploration ludiques qui le préparent que se situe, a priori, le travail de Savary : il s’agit de mettre l’accent sur la fabrication des objets avant que ceux-ci ne se transforment en œuvres d’art. Le processus est donc fondamental, comme un système de recherche, à la fois empirique et expérimental, un mouvement sans fin de la pensée, toute proposition risquant toujours, même au moment de l’accrochage, d’être retravaillée, recombinée et modifiée. Savary fait partie des artistes qui favorisent le continuum au définitif, une manière d’échapper à la finitude de l’œuvre, de rester curieux et réceptif à de nouveaux récits.
Le titre même de son exposition, Quiet Clubbing, sert de fil rouge à plusieurs éditions qui se rejoignent dans une atmosphère nocturne et festive, traversée de jets de lumières, de jeux de transparence et de mouvements dansants : un ensemble d’objets en verre, une vidéo et une série d’affiches. Les objets de Savary, transformés et décalés, chargés de références et modifiés par des manipulations techniques poussées aux limites de la faisabilité, sont le produit du plaisir sensuel du savoir-faire et de la manipulation de la matière. Savary n’inventerait-il pas des objets ultra-pop, sortes de jouets géants, irréels, qui construisent, d’une exposition à l’autre, un théâtre des étrangetés ?
Pour l’édition du Centre d’édition contemporaine, Campfire, Savary a convoqué l’image du feu de bois. Cette édition forme une série desept objets en verre produits par l’atelier du maître verrier Vincent Breed, à Brussieu, dans le Lyonnais, avec qui Savary collabore depuis 2013. Le choix du feu de camp permet d’évoquer une des origines du verre. Selon Pline l’Ancien, le premier verre serait né par accident, environ 2000 ans av. J. C., de l’inventivité de marchands de nitre (carbonate de sodium) phéniciens qui allumaient un feu sur une plage. La chaleur des flammes entrant en contact avec le nitre et la silice contenue dans le sable aurait causé une réaction chimique et permis la formation du verre.
L’idée de ce projet remonte à 2021, alors que l’artiste entamait une session de travail expérimental autour du verre. Une des collaborations menées par Denis Savary et le maître verrier consistait à couvrir de verre en fusion différents objets en bois, puis d’en récupérer le moulage. C’est en suivant ce même procédé que Savary a conçu son édition. Les sept formes uniques ont été réalisées comme un challenge technique : reproduire en verre un feu de camp fait d’éléments de bois. Il s’agissait de recouvrir ce matériau hautement inflammable de verre en fusion afin d’en obtenir une empreinte : détruire et créer par le feu, faire émerger de cette matière incandescente une silhouette en verre, transparente, liquide, un fantôme qui contiendrait les traces, l’âme du bois et du feu – une prouesse qui évoque l’alchimie… l’artiste comme alchimiste. Ces objets de verre, d’allure aquatique, produisent des effets de diffractions lumineuses qui répondent à une série d’images installées en panorama : aurores boréales vues d’une plage enneigée, entre ciel et mer, entre l’ombre de la nuit du Grand Nord et les vagues de lumière spectrale et iridescente de l’aurore.
Ce passage à la lumière s’inverse dans une nouvelle vidéo, produite spécialement pour cette exposition, Blood on the Dining-Room Floor, réalisée avec l’assistance de Geoffrey Cottenceau pour la photographie et de Nicolas Ponce pour le montage. Les premières secondes laissent croire à une vidéo d’animation 3D rappelant les mouvements lents et légèrement saccadés des écrans de veille d’ordinateurs obsolètes. Puis, petit à petit, on entre dans l’image comme dans une salle obscure où l’œil peine à se repérer, à discerner les formes et les objets. Des éléments d’architectures apparaissent progressivement à la lumière des spotlights d’une discothèque, mais rapidement on comprend que cet espace n’est qu’illusion. En effet, l’unique objet de la vidéo est l’une des trois maisons miniatures que Denis Savary a présenté à la galerie Bernheim, à Zurich, en 2021 (Ithaca). Devenue surface de projection, elle accueille sur ses murs une autre vidéo, Le Must, que Savary a réalisée en 2004 et qui décrit, en image fixe, un light show à l’intérieur d’une boîte de nuit. Il s’agissait du motif central de son exposition personnelle Baltiques, en 2012, à la Kunsthalle de Berne. Cette mise en abyme dissimule en réalité un jeu volontaire d’inversion, de mouvements et de passages, de l’intérieur vers l’extérieur (inside out), sorte d’interpénétration des espaces privés et publics.
Blood on the Dining-Room Floor emprunte son titre au premier roman policier de Gertrude Stein, rédigé après le succès de L’Autobiographie d’Alice B. Toklas. Stein entreprend l’écriture du roman alors qu’elle séjourne dans une maison de campagne, à Bilignin, dans l’Ain, avec sa compagne Alice, en s’inspirant des faits divers et des intrigues de la vie de ce petit hameau. Avec cette vidéo, Savary revient sur une période spécifique de son travail, celle des vidéos produites au début des années 2000 qui, pour la plupart, étaient filmées depuis ou dans l’environnement immédiat de sa maison familiale. Réalisées en miniDV, un mode de production révolu, ces vidéos représentent une époque où la maison servait d’atelier et de base d’observation du monde. Curieusement, parmi les maisons miniatures de la série Villa, celle choisie pour Blood on the Dining-Room Floor ressemble à la maison dans laquelle a grandi l’artiste.
Dans sa version réalisée pour le site du CEC, la vidéo est accompagnée d’une pièce sonore éponyme, le résultat d’une commande faite aux artistes compositrices Maria Esteves et Mathilde Hansen. Le son et l’image sont fusionnés, mais semblent a priori en décalage, comme une danse off the beat. Ce n’est que progressivement que le mouvement ralenti de la maison révèle la complexité d’un son House, multipiste, d’où émerge une voix qui scande des extraits du roman de Gertrude Stein. La vidéo dissimule un jeu de mots, entre le style musical, la House, et le sujet central du film, la maison d’enfance de l’artiste. Entrainée dans un mouvement de rotation, la Villa de la vidéo Blood on the Dining-Room Floor rappelle les boules à facettes des dancefloors qui projettent des rayons lumineux et colorés : un light show, comme pendant festif aux aurores boréales des affiches de Quiet Clubbing ou aux reflets mystérieux du verre de l’édition Campfire.
Denis Savary (1981) vit et travaille à Genève. Son travail a été présenté à l’occasion de nombreuses expositions personnelles, comme récemment : Josy’s Club, avec Pierre-Olivier Arnaud, Synagogue de Delme, Delme (2023) ; Octogone, avec Chloé Delarue, Mayday, Bâle (2023) ; Flower of Fog, GNYP Gallery, Berlin (2022) ; Ithaca, Galerie Maria Bernheim, Zurich (2021) ; Ambarabà Cicci Cocco, avec Alfredo Aceto, Stiftung Kunst Halle Sankt Gallen, Saint Gall (2021) ; Ventimiglia, Galerie Maria Bernheim, Londres (2021) ; Phantom, Lemme, Sion (2021). Parmi ses nombreuses expositions collectives récentes, citons : Temps de Mars, Musée des Beaux-Arts, La Chaux-de-Fonds (2024) ; The Big Chill, Galerie Maria Bernheim, Londres (2023) ; Mirage, MCBA, Lausanne (2023) ; Deep Deep Down, MUDAM Luxembourg, Luxembourg (2023) ; The Puppet Show, Centre d’art contemporaine, Genève (2022) ; Inventaire, Mamco, Genève (2021) ; Ballard in Albisola, Casa Jorn House, Albisola (2021) ; La Suite – Regards sur les artistes des collections des Frac, Institut d’art contemporain, Villeurbanne (2021) ; Body Double, Galerie Maria Bernheim, Londres (2021). En 2024, le travail de Denis Savary fera l’objet de plusieurs expositions personnelles et collectives : Fonderia Artistica Battaglia, Milan ; Denis Savary, Galerie Maria Bernheim, Londres ; Roma, Roma, Roma, Rolex Learning Center, Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. En 2025, il sera exposé au KBCB Kunsthaus Biel Centre d’art, Bienne.
Zsuzsanna Szabo, chargée de production, suit les projets de transformation numérique pour le CEC (2021-2024).
L’exposition de Denis Savary est réalisée avec le soutien de la Fondation Ernst und Olga Gubler-Hablützel, de la Fondation Leenaards et de l’Office fédérale de la culture, de la République et canton de Genève.