Du 27 septembre au 25 octobre 2024
Vernissage, jeudi 26 septembre 2024, de 18h à 20h
Présentation de l’exposition par l’artiste, jeudi 24 octobre 2024, 18h30
Giulia Essyad transforme son corps en un outil d’exploration et un espace de projection qu’elle immerge dans des univers fantastiques et cinématographiques, entre légendes médiévales, pop culture et esthétique cyborg. Ce corps technologique, composite et hybride, lui permet d’échapper à la classification binaire de genre. En revendiquant ultra-sensualité et glamour, en surdéterminant les codes de l’extrême féminité, Essyad invite également à une déconstruction critique de la représentation de soi et du corps contemporain. Celui-ci devient un vecteur iconique militant, libéré des tabous, des canons, des stéréotypes esthétiques, une manière de s’affranchir des tendances essentialistes et naturalistes, et des dualismes simplistes du type nature/culture, homme/femme, humains/animaux…
Dans un syncrétisme très libre, l’artiste convoque des notions qui vont de l’animisme au polythéisme, en passant par la fantasy. Elle s’inspire aussi de phénomènes naturels aussi bien que surnaturels, de mythes comme de croyances plus traditionnelles et anciennes, dans un champ élargi et multiculturel. Dans cet univers multiforme, à la fois digital et archaïque, l’artiste crée des avatars d’elle-même, métamorphosés en support marketing, dignes des publicités les plus surproduites. Ces avatars oscillent entre une animalité amusée, revendiquée, et une sophistication qui font d’Ann Lee ou de Betty Boop des sœurs, numériques ou hollywoodiennes. Nymphes antiques ou ondines modernes, poupées transformées en guerrières, leur corps est libéré des codes de la beauté classique et des normes imposées.
Giulia Essyad n’en est pas à sa première collaboration avec le Centre d’édition contemporaine. En 2015 et 2016, elle y proposait deux lectures à l’occasion de la présentation de l’édition sonore collective Artists’ Voices (2016) : celle d’un poème, Poetry Reading December 2016, et celle d’un texte, Prophecy Podcast 1. En 2022, le Centre d’édition publiait Blueberry Studies. Before Publication 8 qui fait partie de la collection Before publication liée au catalogue L’Effet papillon, 2008-2025, ainsi qu’un imprimé, temple-piss19.psd, 2020, édition offerte aux membres de l’association du Centre pour l’année 2022.
Giulia Essyad présente aujourd’hui un nouveau corpus d’œuvres spécialement produites pour l’exposition Innards, ainsi qu’une nouvelle édition Unspeakable (i’m ready), 2023-2024. Celle-ci se compose de reproductions photographiques d’une série de nus réalisés dans le cadre d’une résidence Pro Helvetia effectuée en 2022 à Bengaluru, en Inde. Unspeakable (i’m ready) comprend cinq photographies de l’artiste expérimentant sur elle-même la technique du bondage japonais, le shibari. Cette pratique sexuelle s’est popularisée au Japon au cours des années 1950, avant de devenir peu à peu un « art » réalisé par des maîtres, dont les techniques se sont exportées et popularisées en Occident. Giulia Essyad les réinterprète de manière plus personnelle et empirique, comme elle a pu le faire dans le cadre de la performance Rosabel… Believe (Perrrformat, Zurich, 2022).
D’un point de vue technique, ces photographies de Unspeakable (i’m ready) sont des reproductions en noir et blanc d’images produites grâce à la méthode du collodion humide – une technique photographique remontant aux années 1850, rendue célèbre, notamment, par le photographe Eadweard Muybridge, précurseur de la chronophotographie –, au format carte postale, sur de fines plaques de plexiglas. Elles ont été reproduites à 65 exemplaires, emballées individuellement dans des boites en plastique transparent contre-formées, conditionnées comme des produits informatiques, avant d’être réunies à l’aide d’un simple élastique par groupe de cinq photographies.
Unspeakable (i’m ready), tel un pack de nudes proposés à la vente, est présentée dans un display s’inspirant des dispositifs utilisés dans les magasins d’électronique ou de téléphonie mobile – une référence qui vaut pour l’espace d’exposition lui-même… Ainsi, au centre de la salle, plusieurs téléphones sont disposés sur une table ; en réalité, de petites lightboxes bricolées : des objets DIY composés de colle chaude et de coques de protections récupérées, qui reproduisent de manière rudimentaire des smartphones. Essyad imite ces outils de communication indispensables à notre quotidien dans un fait-main volontairement vite fait, mal fait, non sans un plaisir parfaitement jubilatoire. Le boitier des smartphones se transforme en support exclusif de ses autoportraits, de ses mises en scène d’elle-même et de son personnage : autant d’écrins low-tech pour un corps à la fois déconstruit et augmenté, désinhibé, futuriste et cyborg. Pour Essyad, les outils informatiques (téléphones, câbles USB), comme les terminologies (mémoire vive, disques durs externes) sont autant de métaphores du corps humain, de son système veineux, nerveux, de sa mémoire, de son cerveau et de ses entrailles (INNARDS).
L’artiste elle-même, figure centrale d’un travail provocateur et décomplexé, s’oppose aux dictats d’un physique parfait, en exposant la nudité d’un corps qui outrepasse les normes imposées par la société contemporaine, les réseaux sociaux et des standards totalement hors de portée. Elle détourne à son profit les outils de l’ultra-communication, avec humour, en les modifiant de manière volontairement bâclée. Elle s’en moque, essaye de les détruire de l’intérieur, consciente qu’il est presque impossible de s’en affranchir complètement. Son personnage surexposé et hypersexualisé revendique un droit à la différence et à l’autodétermination, comme un moyen d’être totalement soi-même à travers une théâtralité joyeuse et exubérante, faisant face à un univers qui se veut totalement transparent mais qui produit, paradoxalement, par un effet double bind, de la coercition, du contrôle et de l’intolérance.