Mathis Gasser
Sept sont tombés vers le ciel
Travaux sur papier
Vernissage le jeudi 19 mai 2016 de 18h à 21h
Exposition du 20 mai au 3 septembre 2016
Mathis Gasser puise et entrecroise des milliers d’images issues de ses archives personnelles, patiemment collectionnées et triées, des références trouvées autant dans l’art, l’architecture, le cinéma, la BD, la SF, les magazines, que l’actualité. Dans cette pratique du collage très élaborée, des milliers de signes s’entrechoquent et se démultiplient en combinaisons explosives, en effet miroir ou gigogne, diffractées par l’immatérialité du numérique et l’invasion de l’information. L’impact recherché par Gasser au travers de ce corpus d’images réappropriées, réassociées, souvent retravaillées au dessin et à la peinture, prises dans un turnover soutenu et invasif, oscille entre une vision nihiliste et une interrogation sur les limites d’un monde miné par la tentation des archaïsmes, la résurgence de peurs primitives, les délires sectaires, les théories du complot, et les extravagances hyper technologiques, futuristes et prophétiques.
Cette prolifération, qu’elle fasse écho à l’explosion d’une actualité globalisée, hors limites, surréelle ou à des références plus historiques, culturelles et artistiques, est construite par Gasser en plusieurs séries. L’une d’elles constituera une partie des 600 pages du livre édité par le CEC, s’intitule In the Museum 1 /2 (3). « Dans le musée », que Mathis Gasser considère autant comme un réceptacle d’œuvres d’art que comme un espace traversé par des éléments appartenant à la sphère économique, sociétale, médiatique, numérique et scientifique. La deuxième série, Regulators, engage et développe une vision plus critique et politique de notre société.
Dans In the Museum 1 /2 (3), le musée est appréhendé comme une plateforme en constant dialogue entre des objets morts, les œuvres d’art et le flux de la vie. Gasser apparente les œuvres à des morts-vivants, à la fois objets et êtres vivants, des objets pré-technologiques, comme la peinture, manipulés par l’information, les nouvelles technologies et le monde virtuel. Des œuvres maintenues en vie artificiellement par le discours historique, la pédagogie et la communication.
Mathis Gasser imagine son propre musée comme une projection rétro-futuriste et prémonitoire, traversée par des ondes électromagnétiques ou des zombies, parcourue par une tension sous-jacente et les symptômes d’un chaos à venir. Dans ce musée imaginaire, les œuvres sont plongées dans un combat entre vie et mort, horreur et esthétique, où même la marionnette de Christopher Walken (film In the Museum 1 et 2), star hollywoodienne inquiétante, acteur fantomatique au regard étrange et perçant, borderline et comme venu d’ailleurs, représente une créature à demi vivante, déjà un stéréotype. Dans les films de Gasser, le double de Walken déambule dans la maquette immaculée et sans relief d’un musée fictif, attaqué par les œuvres d’art et protégé par les zombies. Cette histoire bricolée et fantastique, qui déborde d’œuvres ensanglantées et de morts-vivants, servirait de miroir à notre société traversée par de nouvelles expressions de violence, des forces occultes, des peurs primitives et irrationnelles. Les zombies représenteraient ces morts-vivants sans cerveau, hystériques et voraces, dévorant ses ex-congénères et rongés par le consumérisme galopant, transformés en machines sur-adaptées, autorégulées, consommant et communiquant non-stop, poussées à l’autodestruction par le capitalisme lui-même, parfaites images d’un processus sans fin de surproduction et d’auto-cannibalisme. Pour Mathis Gasser, le musée représente une sorte de matrice institutionnelle, à l’instar des Nations Unies ou de l’Union Européenne, qui synthétise et symbolise les croyances occidentales. Le musée d’art contemporain représenterait lui aussi ce même espace fictionnel. Gasser l’infiltre de personnages inquiétants et monstrueux – Walken et les zombies – eux-mêmes de purs produits de ce récit matriciel, qui semblent à la fois en jouir et en perturber l’ordre établi. Ces fantômes qui occupent le musée représenteraient le subconscient collectif, qui, derrière les apparences, influe sur notre société, perturbe son organisation et ses mythologies et exalte sa face sombre et mortifère.
La deuxième série, plus récente, reproduite également dans ce livre, formera le deuxième chapitre, Regulators 1 / 2 (n). Ce titre générique, Regulators, marque un lien plus franc vers le monde extérieur, son état, son actualité, son développement. Gasser l’envisage toujours d’une manière aussi fictionnelle, futuriste ou rétro-futuriste, mais également comme un univers plus en phase avec notre réalité : non-régulé, sujet aux multiples dérives et catastrophes (climatiques, écologiques), aux crises économiques (crashes boursiers, économie-casino, trading à haute fréquence), aux épidémies et au terrorisme. Une terre toujours peuplée de vampires et de zombies, d’êtres non-conscients, où règne l’ultra-violence et des dérives sans limites, qui explosent les repères, le cadre moral et crée de la volatilité. Ce monde indéterminé et liquide ouvre des failles à de nouvelles croyances : sectes, sociétés secrètes, illuminati et autres complotistes. La globalisation générée par le capitalisme occidental, hors de toute régulation, détruit à la fois les identités et les références morales communes, provoquant un trou noir, une impression de fin du monde éminente et apocalyptique, où s’engouffrent les théories d’anticipation mais aussi les réflexes de régression, anti-démocratiques, fascisants, dont le cinéma et les séries télévisées se sont déjà considérablement emparés, oscillants entre un futur hi-tech, déshumanisé et un retour à des archaïsmes délirants et débridés. On pense à eXistenZ de David Cronenberg, à la première saison de True Detective, à Top of the Lake de Jane Campion ou plus récemment au film Ex Machina d’Alex Garland.
Le terme « regulators » fait aussi référence aux systèmes de régulation, tels que ceux mis en place dans la finance, que Gasser envisage en arrière-fond de son travail, comme un commentaire et l’expression de l’urgence et du danger de prochaines explosions annoncées : nouveaux troubles financiers, écologiques, religieux, politiques, jusqu’à la résurgence de formes déjà connues de fascisme. La plupart des films de Gasser mettent en scène de petites histoires et des figurines qui déambulent dans des maquettes réalisées par lui-même. Plus récemment, ses performances proposaient des figures « grandeur nature », en live, se déplaçant dans les espaces d’exposition, costumées comme les acteurs du théâtre No ou du Bunraku japonais. Pour Gasser, les personnages de la série Regulators ne représentent pas des « agents » destructeurs, mais plutôt des êtres susceptibles d’inventer de nouveaux « rituels contemporains » plus ouverts et davantage inspirés par des notions d’abstraction, d’esthétique et d’éthique.
L’exposition de Mathis Gasser présentera une toute nouvelle série de travaux sur papier réalisés sur place, au CEC, pendant la période qui précédera le vernissage.
En préparation, l’édition du livre d’artiste :
Mathis Gasser, In the Museum 1/2 (3), Regulators 1/2 (n), offset, 17,5 × 23,5, env. 480 pages en noir et 128 pages couleur, couleur et noir/blanc, 300 exemplaires. Graphiste : Niels Wehrspann, Lausanne. Edition du Centre d’édition contemporaine, Genève, 2016.