Exposition
Heimo Zobernig
Du 16 novembre 2024 au 21 février 2025
Vernissage, vendredi 15 novembre 2024, de 18h à 21h (Nuit des Bains)
Week-end des Bains, samedi 16 novembre 2024, de 11h à 18h
Nuit des Bains, jeudi 16 janvier 2025, de 18h à 21h
En 1996, Heimo Zobernig a réalisé une édition emblématique pour le CEC. À cette époque, Zobernig a joué très librement la carte du fait-main et de l’artisanat. Sa méthode ? Imprimer des pierres lithographiques anciennes, abîmées et cassées. Ces pierres, au nombre de 15, étaient simplement polies, puis enduites d’encre noire, l’impression se limitant à un simple report sur le papier, révélant des formes et des lignes résultats des cassures de ces surfaces modifiées, telles quelles. Ces 15 lithographies étaient réduites à une surface noire, monochrome, tirée chacune à 4 exemplaires, 1 e.a. et 1 H.C. Ces rectangles ou carrés noirs, sur fond blanc, pouvaient directement être associés au carré noir historique de Malevitch, avec toute la distanciation, l’ironie et la malice contenue dans ce geste. Zobernig déconstruit, simplifie, les références historiques du modernisme et du minimalisme auxquels son œuvre est associée. Il les déplace lui-même du côté du design et du graphisme. Les critères techniques d’un artisanat – à l’époque, il s’agissait de la lithographie – sont eux aussi pris au pied de la lettre : une surface enduite d’encre, directement reportée sur une feuille de papier, avec pour seul motif les lignes des cassures de cette série de pierres, trouvées dans un vieux stock, oubliées et inutilisables. Une sorte de jeu avec une situation locale, celle de cet atelier, désuet et d’un autre temps, réactivé dans un esprit ludique.
Zobernig pousse sa recherche de simplification, d’évidence et de neutralité jusqu’au simple objet. L’expression artistique est réduite à son minimum. L’objectivation, la réduction, la standardisation et la systémisation sont érigées en stratégie. Cette distanciation lui permet de déplacer son point de vue, de cultiver un pragmatisme toujours teinté d’ironique, dégagé de tout pathos, déterminé surtout par une recherche d’autonomie à toute épreuve. En réalité, Zobernig envisage le texte comme un graphiste ; la couleur de manière « scientifique » ; l’objet comme industriel ; l’espace comme un scénographe ou un architecte.
L’artiste poursuit un système de production décliné en plusieurs séries, dont celle des structures en étagères et des bibliothèques qui semblent inspirées par le fameux modèle Billy, emblématique des magasins de meubles Ikea. Un rappel ironique peut-être aux modules créés par Donald Judd ou à ceux des scénographies de Robert Morris. Ces structures-bibliothèques ont fait leur apparition, entre autres, lors de son exposition personnelle à la Kunsthalle de Zurich située, en 2011, au Museum Bärengasse, puis en 2015, au KUB de Bregenz ou, plus récemment, au Mumok de Vienne, en 2021. Ces grands ensembles de bibliothèques se transforment en display d’exposition, en structures architecturales qui rythment, entrent en dialogue, parfois exaltent ou carrément transforment l’architecture de ces institutions.
Depuis quelques années, Zobernig introduit dans ces œuvres des déclinaisons de couleurs et de matériaux, mais aussi des figures sculpturales, comme des mannequins de vitrine, corps humains non-genrés, schématiques, standards. Des figures géométriques, modulaires, aux proportions équilibrées, envisagées comme des architectures, à l’instar du Modulor de Le Corbusier. On pense à d’autres stéréotypes, emblèmes de la statuaire monumentale : des statues antiques aux femmes-robots de Metropolis, à la sculpture Der Morgen de Georg Kolbe pour le Pavillon allemand de Ludwig Mies van der Rohe, à Barcelone, ou encore des statuettes des Oscars ou celles des génériques des films d’Hollywood.
À ce classicisme, monumental et autoritaire, Zobernig introduit une rupture. Il manipule, déconstruit, retourne littéralement ses figures et parfois même les déguise. Composites, elles sont formées de plusieurs parties de corps issues de sources différentes : la tête ou le corps de l’artiste collés à des bouts d’anciennes sculptures. D’autres sont réduites à leur mode de fabrication : de la 3D aux premiers moulages en bronze, restées à l’état brut, non finies, cassées, plus ou moins bien reconstruites, oxydées, écaillées, rouillées. Certains mannequins sont parfois accrochés aux rayonnages de ses structures-bibliothèques, tordus, disloqués, plus dramatiques, oscillant entre des êtres momifiés, numériques et archaïques.
Zobernig utilise aussi son propre corps, pratiquant l’auto-référence et l’auto-dérision. Dans une vidéo réalisée en 1989 (no 3), il danse, affublé d’une perruque improbable aux longs cheveux en chiffon. Il rejouera cette scène en 2023 (no 33), avec un accoutrement similaire. Le corps et sa gestuelle ont changé, plus raides, maladroits, fatigués : la distanciation et l’ironie appliquées à soi-même.
L’exposition de Heimo Zobernig au CEC propose un ensemble de productions et d’éditions : 5 bibliothèques métalliques ; 3 sérigraphies déclinées en 3 combinaisons de couleurs et de qualités de papier (noir/blanc/argent), constituées de lignes horizontales et des mots SELF SHELF EDITION (en français : soi-même, étagère, édition), comme « auto-édition », « édition-étagère » et « auto-étagère ». En anglais, SELF SHELF, la proximité phonétique de ces deux mots, typographique aussi, avec un H en plus entre SELF et SHELF, H comme Heimo, H comme une étagère. Jeux de sons, de mots, association que Zobernig fait avec humour, entre lui et une étagère. Cette série de « mots croisés » pourrait être le titre même de cette exposition : des objets produits, édités et exposés, comme leur système de production. Des étagères, des sérigraphies, des flyers et des posters réalisés à Vienne et à Genève, par Zobernig et le CEC, à distance.
Les 3 sérigraphies, format 50 x 70 cm, tirées chacune à 10 exemplaires, se déclinent encore sous la forme de flyers (une des sérigraphies sur fond blanc tirée à 200 exemplaires, format : A4) et de 3 posters (tirés à 3 exemplaires, au format F4). Chacun de ces grands posters est imprimé en noir, décomposant et recomposant les différents éléments : un poster avec uniquement les lignes horizontales, un autre avec les mots, et le troisième avec les lignes et les mots.