Exposition du 18 septembre au 12 décembre 2020 Vernissage le jeudi 17 septembre 2020, de 14h à 20h
L’exposition personnelle de Paul Paillet au Centre d’édition contemporaine devait débuter en mars 2020, elle a été repoussée suite au confinement au mois de septembre 2020. Paul Paillet a développé pour cette exposition une proposition nourrie de multiple références qui s’entrecroisent et se superposent pour créer un ensemble de plusieurs pièces : des sculptures et une pièce murale en porcelaine, un journal, une radio et une publication. Chacun de ces éléments héberge plusieurs indices culturels et personnels et construit une sorte de mise en scène. Le propos de Fascination for fire est pour une part autobiographique, participe d’un travail mental du retour sur l’adolescence de l’artiste, ses aventures et des moments plus sombres de son passé, qui induisent des glissements sémantiques, de l’intime vers des implications sociétales et politiques, plus critiques et engagés.
Ce display combine une tasse, quelques cuillères, un journal et une radio, qui suggère le rituel quotidien du petit déjeuner, ce set se révélera moins banal, innocent et confortable que notre service à café habituel et notre musique préférée du matin, mais fait plutôt ressurgir des souvenirs, qui réitèrent des failles entre un vécu et un ressenti personnel, la société, ses incohérences, ses dérives et ses injustices. Si ces ustensiles en porcelaine blanche rappellent le style bourguignon et le premier apprentissage de l’artiste, les motifs en relief de flammes, d’éclairs ou de fleurs sont réalisés dans un dessin très fin et élégant, qui semblent bien inoffensifs, la source réelle qui sous-tend la production de ces objets est d’une tout autre nature. Il s’agit en réalité et dans un format surdimensionné de la réplique d’une petite cuillère à café en plastique proposée dans les années 1970 par McDonald’s, rendue célèbre à l’époque par les dealers de cocaïne appréciant que son contenant corresponde exactement à 100 milligrammes. Cet ustensile qui aurait dû rester quasi invisible s’est transformé en cette célèbre « Cocaine McSpoon », symbole d’un marché bien plus puissant que celui du hamburger, obligeant McDonald’s à les retirer de leurs restaurants.
Le journal Untitled (The Path), 2020, qui accompagne ce repas matinal, composé de pages en feuilles d’aluminium, présente du texte en relief (gaufré), portant des traces de transfert à l’acétone (chasser le dragon) et encre de Chine. Ces pages peuvent aussi être associées au mode de consommation de l’héroïne. Les textes sur chaque « page » proposent une stratification de signifiés. Ils reprennent le plus souvent des aphorismes ou des phrases « bateau », tirées d’interviews d’artistes trouvés dans des magazines. Le sous-titre, The Path, fait allusion à une série télévisée américaine qui se déroule au sein d’un mouvement religieux, le « Meyerisme », qui n’existe pas réellement mais rappelle de manière à peine voilée la scientologie et les dérives cabalistiques de certaines sectes. Entre la superficialité de propos globalisants et le mirage de croyances dévoyées, Paul Paillet trace cette question qui taraude nos sociétés occidentales, cette recherche acharnée du lieu idéal, de l’amour absolu ou encore de son « moi intérieur », ces dictats contemporains d’une vie parfaite. Cette quête d’espoir transformée en produit marketing nourrissant un capitalisme avide et faisant commerce de tout.
Paul Paillet poursuit toujours en sous-texte cette dictature du bonheur, plus candide ou vintage avec la chanson Coimbra (1930) de José Galhardo – la version française Avril au Portugal (1947) de Jacques Larue, chantée par Yvette Giraud dans les années 1950 et par Jimmy Kennedy (1947) pour la version anglaise -, qui a été un des premiers succès radiophoniques internationaux et dont quelques strophes sont publiées en français et en anglais dans la publication BRUME BOURGEON BRISE SOLEIL (éd. CEC, 2020)[1]. Ce fascicule s’inspire aussi du roman Les Météores (1975) de Michel Tournier où un couple de jumeaux se sépare, l’un d’eux entame un périple à la recherche de son double et de lui-même, on retrouve ici encore la thématique de l’initiation et du cheminement vers la découverte de son identité.
Cette scène quotidienne est accompagnée d’une bande sonore discrète, provenant d’une radio bricolée et libre de droit, la Tin Can Radio (1965) du designer Victor Papanek, reproduite ici et qui diffusera Wings, un morceau d’un clip du boys band interplanétaire de K-pop, les BTS. Cette radio ultra-basique, composée d’une boîte de conserve et d’une bougie, sorte d’éco-design avant l’heure, a été utilisée par l’UNESCO pour faire sortir certaines populations de leur isolement, en Indonésie notamment. Papanek la voulait sans design ni rappel d’aucune esthétique ou technologie occidentale. Le but humanitaire véhiculé par ce petit émetteur DIY, sorti d’une époque pleine d’illusions, diffusera ce fameux hit de BTS. L’ironie de ce croisement entre l’esprit alternatif, l’utopie des années 60 et le look hygiéniste, futuriste de ce groupe, qui par une pirouette intellectuelle et un énorme malentendu, maximalise son influence et ses profits en exploitant la thématique de la crise identitaire adolescente, allant jusqu’à se référer au roman Demian de Hermann Hesse.
Cette combinaison paradoxale entre douceur, chansons romantiques et blancheur immaculée de la porcelaine, et une menace cachée – drogue et marchandisation – semble traverser toutes les œuvres composant ce petit déjeuner, oscillant entre croyance et désillusion, plaisir et toxicité, où chaque amour ou paradis s’avère mortifère, où chaque tentative d’émancipation et d’autonomie est menacée par la voracité du marché, traduisant avec subtilité le système de la création de survaleurs, sur l’exploitation du désir et de la peur nourrissant sans fin un capitalisme envahissant, hystérique et parfaitement irrationnel.
Visites commentées avec Paul Paillet:
Le 7 octobre 2020, 17h
Le 31 octobre 2020, 15h (Week-end GENEVE.ART 2020)
Le 1er novembre 2020, 15h (Week-end GENEVE.ART 2020)
Le 2 décembre 2020, 17h
Le CEC a participé au Week-end GENEVE.ART 2020, le samedi 31 octobre et le dimanche 1er novembre 2020 de 11h à 18h, et aux Ouvertures communes du Quartier des Bains le vendredi 11 et le samedi 12 décembre 2020 de 11h à 18h.
L’exposition fascination for fire de Paul Paillet est soutenue par la Ville de Genève, le Fonds cantonal d’art contemporain et la Fondation Bruckner, Genève.