Sgrafo vs Fat Lava
Céramiques et porcelaines Made in West Germany, 1960-1980
Du 5 novembre 2010 au 5 février 2011
Céramiques et porcelaines Made in West Germany, 1960-1980
Environnement sonore de Seth Price
Pour ce début du mois de novembre 2010, nous passerons du champ de l’art à celui de l’objet, ne quittant pas tout à fait et complètement le premier pour le deuxième, avec l’exposition d’une collection de céramiques historiques des années 1960 – 1980. La presque centaine de pièces, couvrant plusieurs styles et procédés de fabrication, nous fera découvrir au travers d’objets utilitaires et décoratifs une multitude de déclinaisons esthétiques d’une période à la fois prolifique et très libre stylistiquement, où le goût commun se permettait d’être kitsch et délirant. Une époque d’avant la suprématie du design, qui formatera la plupart de nos objets quotidiens.
L’exposition s’intitule «Sgrafo vs Fat Lava», céramiques et porcelaines Made in West Germany, 1960-1980, et à cette occasion sera édité par JRP/Ringier, Zurich, un petit livre, Sgrafo vs Fat Lava, dans la collection «Hapax».
La présentation de cette série de céramiques produites entre les années 1960 et 1980, appelées souvent Fat Lava ou West German Ceramic/Pottery, suggère une association ironique et ludique avec le domaine de l’édition. Elle met en évidence des problématiques qui y sont régulièrement discutées et qui touchent à cette réévaluation constante entre l’art et la fonction,l’art et le design, ou encore le savoir-faire, surtout depuis le récent intérêt des designers et des artistes pour le revival artisanal.
La mise en espace par Nicolas Trembley de sa collection de céramiques et de porcelaines interrogera plusieurs notions: celle de l’évolution des formes, du goût commun, du décoratif, de la multiplicité des objets, de leur production quasi industrielle, de la collection, ou encore de ce passage de l’objet courant à l’objet fétichisé. Un travail sur l’espace, littéralement de «décoration», présentera l’histoire particulière et non encore écrite de ces céramiques.
Sans hiérarchie, ce groupe d’objets mêle le bon et le mauvais goût, éclaire cet éternel aller-retour entre le goût dit «populaire» et sa récupération «vintage», pointe les effets de mode et repose aussi la question récurrente du décoratif et de l’artisanal et de leur déplacement plus ou moins récent dans le champ de l’art contemporain. Cette proposition, qui fait écho au désir obsessionnel d’un collectionneur, est une manière autant exotique que critique de cerner les limites toujours vacillantes et très discutées entre la chose «à la mode» et le franchement démodé, entre le revival et la chute dans l’«oubli éternel», entre le goût commun devenu artistique et le chic.
Cette exposition donnera à voir avec légèreté, pour le plaisir des yeux et une sensation de déjà-vu, une nomenclature de formes et de couleurs plus gaie, cocasse et désinhibée que ne pourrait le proposer l’histoire de l’art ordinaire. L’esthétique de ces vases effleure le typique et même le folklore; en parallèle, dans les années 1960 – 1980, les années les plus productives, l’esprit seventies, dans son retour à la nature, a plutôt privilégié les effets de textures et les imitations de coquillages, d’écorces et de fossiles. Même si d’autres formes plus minimales, inspirées du Bauhaus, étaient également déclinées et structuraient davantage l’architecture des objets (vases, pots à eau), les motifs décoratifs restaient souvent plus proches du Pop et de l’Op-Art que du pur minimalisme. On trouve également des pièces d’inspiration plus «futuriste», où l’utilisation d’émaux d’un blanc immaculé rappelle les créations de Pierre Cardin, les décors de Jacques Tati ou encore pour les plus «Pop», les animations télévisuelles de Jean-Christophe Averty.
«Mais il y a vase et vase. Si certains sont d’une facture insignifiante, d’autres sont tout simplement extraordinaires et nettement plus innovants que le design actuel. Pendant quarante ans, au sein d’une économie en plein essor, les créateurs ont bénéficié d’une liberté sans précédent. […] A travers ces objets, les designers ont su capter les formes dans l’air du temps, faisant référence au cubisme d’un Braque ou à l’Op Art d’un Vasarely. Le design se fait plus géométrique, empruntant les lignes fluides et les couleurs primaires à Verner Panton ou les formes futuristes de la science-fiction et ses ovnis. Le mouvement contestataire soft des hippies est formalisé par des vases biomorphiques rappelant l’architecture psychédélique d’Antti Lovag ou les productions plus mineures et artisanales de tableaux de fil ou de macramé. Les recherches spirituelles de l’époque et ses tentatives d’un retour à la nature se retrouvent dans des vases au décor évoquant la cosmogonie, imitant l’écorce des arbres, la forme des champignons et des cristaux, l’aspect des fossiles et des pierres, et les reliefs des fonds marins – coquillages et coraux. Certains designers se réfèrent aux expérimentations de l’architecture moderniste du Bauhaus en créant des objets brutalistes recouverts de crépi.
Mais c’est sans aucun doute le fameux glacis, aujourd’hui appelé «Fat Lava», qui caractérise cette production. Formé de plusieurs couches d’émaux et de composants chimiques réagissant différemment selon la cuisson, il engendre des coulées de lave qui forment des cratères. Désormais, les céramiques allemandes empruntent le chemin d’un décor tout à fait particulier pour atteindre des exagérations plastiques et des boursouflures uniques dans l’histoire des formes.»
(Citation tirée de l’introduction de Nicolas Trembley à la publication Sgrafo vs Fat Lava, publiée par JRP/Ringier dans la collection Hapax, à l’occasion de l’exposition au CEC.)
Sgrafo vs Fat Lava, une publication liée à la présentation de cette collection particulière, est édité à cette occasion par JRP/Ringier dans la collection «Hapax». Il comprend une introduction de Nicolas Trembley, Madeleine de Proust et Fat Lava, une discussion entre le designer français Ronan Bouroullec et Nicolas Trembley, un texte de Horst Makus, Formes, couleurs et décors – Un survol, historien de l’art spécialisé dans l’histoire de la céramique allemande des années 1950, ainsi qu’une vingtaine d’images des modèles parmi les plus significatifs au niveau historique, technique et stylistique, produits par ces fabriques du Sud et de l’Ouest de l’Allemagne.
Commissaire de l’exposition: Nicolas Trembley
La publication:
Sgrafo vs Fat Lava
Français
Relié, 105 x 165 mm
64 pages
22 images couleur
Sommaire: Nicolas Trembley (éd.), Madeleine de Proust et Fat Lava (introduction); texte de Horst Makus, Formes, couleurs et décors. Un survol; Interview de Ronan Bouroullec par Nicolas Trembley.
Conception graphique: Gavillet & Rust / Eigenheer, Genève.
Editeur: JRP/Ringier (collection Hapax), Zurich, 2011.
ISBN 978-3-03764-163-7
CHF 18.-
L’exposition est présentée au FRAC Champagne-Ardenne, Reims, du 11 mars au 24 avril 2011 et à la Galerie Kreo, Paris, du 20 mai au 23 juillet 2011.